54 % des personnes qui travaillent dans le tourisme, à l’échelle mondiale, sont des femmes. Pourtant, dès qu’il s’agit d’accéder aux postes de direction, leur présence fond comme neige au soleil. Les engagements pour l’égalité se multiplient sur le papier, mais les résultats, eux, tardent à s’ancrer dans la réalité.
Dans certaines régions, des initiatives locales bousculent l’ordre établi et ouvrent la voie à l’autonomie économique des femmes. D’autres, au contraire, continuent de perpétuer les inégalités bien ancrées dans le secteur, montrant à quel point il est complexe de faire rimer développement touristique et avancée sociale.
L’égalité des sexes au cœur des objectifs de développement durable : pourquoi l’ODD 5 est incontournable
Impossible de dissocier la question de l’égalité femmes-hommes des enjeux liés au développement durable. L’ODD 5, porté par les Nations unies, vise à éliminer toutes les formes de discrimination et de violence envers les femmes et les filles, tout en promouvant leur émancipation et l’accès aux droits fondamentaux. En France, selon l’INSEE, les femmes gagnaient encore, en 2022, 14,1 % de moins que les hommes. Quant à la répartition des responsabilités, seuls 20,6 % des postes de cadres dirigeants dans le privé reviennent à des femmes.
À l’échelle mondiale, la réalité est encore plus rude : 340 millions de femmes et de filles vivent dans l’extrême pauvreté (ONU Femmes, 2023). Plus d’une femme sur quatre a déjà subi des violences de la part d’un partenaire intime. Même la France, malgré un arsenal législatif et des outils statistiques (INSEE, Eurostat, Observatoire des inégalités), voit chaque année près de 120 femmes tuées par leur conjoint ou ex-conjoint. Les progrès sont là, mais ils avancent au pas. D’après le Global Gender Gap Report 2025, il faudrait encore 123 ans pour espérer voir se réaliser l’égalité effective.
Un objectif transversal et structurant
L’ODD 5 ne s’arrête pas à la sphère sociale : il influence tous les autres ODD, de la lutte contre la pauvreté à l’accès à la santé, sans oublier la paix et la coopération internationale. Donner aux femmes l’accès aux postes de direction, garantir les droits sexuels et reproductifs, combattre les violences… autant de leviers qui bénéficient à l’ensemble de la société. Sans égalité, impossible de parler de développement durable avec sérieux.
Quel rôle le tourisme durable peut-il jouer dans la promotion de l’égalité femmes-hommes ?
Le secteur touristique s’impose comme un levier économique dans de nombreux pays en développement. Pour beaucoup de femmes, il offre la possibilité d’obtenir un emploi, alors qu’elles restent les plus exposées à la précarité et à l’exclusion du marché du travail formel. Dans l’hôtellerie, la restauration, l’artisanat ou la médiation culturelle, les femmes sont nombreuses, mais leurs emplois restent souvent fragiles. Pourtant, le tourisme durable peut changer la donne.
En encourageant des modèles économiques qui soutiennent l’autonomie des femmes, les acteurs du tourisme participent à transformer les rapports sociaux. Voici quelques leviers à l’échelle locale :
- accorder davantage de responsabilités aux femmes,
- renforcer leur accès à la formation,
- assurer des conditions salariales équitables.
Mener ces actions concrètes, c’est donner une impulsion à l’égalité. S’engager contre les discriminations et les violences, c’est aussi permettre au secteur de jouer un rôle de moteur dans la transformation sociale.
Mettre en avant les produits locaux, soutenir les initiatives dirigées par des femmes, valoriser les récits portés par des guides ou des entrepreneuses : ces choix redéfinissent le tourisme. Au lieu de servir une vision stéréotypée ou superficielle du voyage, il s’agit de promouvoir une démarche qui bénéficie à tous. Chacun, qu’il soit entrepreneur, salarié ou élu local, peut contribuer à l’atteinte de l’objectif de développement durable n°5. Ce n’est pas une question d’image : il s’agit d’un enjeu structurant pour l’avenir du secteur et des sociétés concernées.
Des initiatives inspirantes : quand le secteur touristique devient moteur d’autonomisation féminine
Sur le terrain, des changements concrets émergent. ONU Femmes diffuse les Principes d’autonomisation des femmes (WEPs), qui servent de cadre de référence pour transformer la gouvernance des entreprises touristiques. Ces principes incitent à bâtir des politiques solides :
- égalité des salaires,
- accès aux fonctions décisionnelles,
- lutte contre toutes les formes de violence ou de harcèlement.
Plusieurs groupes hôteliers et agences de voyage utilisent le WEPs Gender Gap Analysis Tool pour évaluer leurs pratiques. Les résultats sont parfois sévères, mais cette démarche d’auto-évaluation permet d’alimenter une dynamique de progrès.
L’écosystème ne se limite pas aux multinationales. Le Fonds de soutien aux organisations féministes (FSOF), appuyé par la France, finance des ONG qui forment des femmes aux métiers du tourisme, de la gestion d’hébergement à la valorisation du patrimoine local. Ces initiatives, parfois peu visibles, irriguent tout le secteur. Dans de nombreuses régions, des partenariats entre structures financières et acteurs locaux permettent aux entrepreneuses d’accéder au crédit. Un atout décisif : sans moyens, les ambitions restent lettre morte.
Les grands groupes, de leur côté, prennent des engagements concrets. Capgemini, par exemple, met en œuvre une politique ambitieuse en matière de diversité et inclusion, menée par Karine Vasselin et Fabienne Philippot. Leur stratégie repose notamment sur la formation, le mentorat et la transparence des rémunérations. La formation, en particulier, demeure un levier puissant d’émancipation pour les femmes dans le secteur du tourisme.
Qu’il s’agisse de réseaux structurés ou d’initiatives de terrain, le secteur montre sa capacité à faire du tourisme durable un outil concret pour l’égalité et l’émancipation.
Stratégies concrètes pour renforcer l’égalité de genre dans le tourisme durable
En France, le cadre législatif façonne progressivement les conditions d’une égalité réelle entre femmes et hommes. La loi Copé-Zimmermann impose, depuis 2011, des quotas dans les conseils d’administration : 30 % de femmes parmi les administrateurs dirigeants, 40 % pour les administrateurs non exécutifs dans les grandes entreprises. Pourtant, en 2023, 57 % des sociétés de plus de 1 000 salariés ne comptaient pas assez de femmes parmi leurs cadres dirigeants. Les résistances demeurent, mais la législation se renforce. L’index égalité femmes-hommes, obligatoire dans les structures de plus de 50 salariés, mesure chaque année les écarts de rémunération, la parité dans les promotions et l’accès aux postes à responsabilité.
Les entreprises du tourisme ne peuvent se contenter de déclarations d’intention. Saisir ces outils, c’est mettre en œuvre des politiques de non-discrimination réelles : cela passe par des formations ciblées, des recrutements transparents, un suivi précis des écarts salariaux. La directive européenne du 10 mai 2023 sur la transparence des rémunérations, qui sera appliquée au niveau national d’ici 2026, obligera la publication de données détaillées. Une avancée qui lève le voile sur l’opacité, principale alliée des inégalités.
Le tourisme durable, souvent ancré dans des territoires où la précarité féminine reste vive, doit intégrer ces exigences au quotidien. Accès facilité au crédit, encouragement de l’entrepreneuriat, valorisation des métiers exercés par des femmes : quelle que soit la taille de la structure, chacun possède des leviers pour transformer la filière. L’égalité de genre ne s’improvise pas : elle s’incarne dans des choix stratégiques, des engagements tenus, et un effort constant pour faire bouger les lignes.
Au bout du chemin, l’égalité n’est pas une destination lointaine. C’est le cap qu’il faut garder, même face au vent contraire. Et si le tourisme durable ouvrait la voie, pour de bon, à un nouvel horizon partagé ?

